Le Conseil d’Etat a rendu, le 5 juillet 2017, une décision aux termes de laquelle il rappelle le principe selon lequel
”l’annulation d’un acte détachable d’un contrat n’implique pas nécessairement l’annulation de ce contrat ; qu’il appartient au juge de l’exécution, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité commise, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit, après avoir vérifé que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, d’enjoindre à la personne publique de résilier le contrat, le cas échéant avec un effet différé, soit, eu égard à une illégalité d’une particulière gravité, d’inviter les parties à saisir le juge du contrat afn qu’il règle les modalités s’il estime que la résolution peut être une solution appropriée”.
Dans cette affaire, le conseil municipal de La Teste-de-Buch a approuvé, par une délibération en date du 22 avril 2010, le recours à un contrat de partenariat pour le financement, la conception, la réalisation, l’entretien et la maintenance d’un nouvel hôtel de ville. A l’issue d’une procédure de dialogue compétitif, le conseil municipal de la ville a approuvé, par une délibération en date du 13 septembre 2011, l’attribution du contrat à la société x. Un conseiller municipal, estimant que le recours à la procédure de dialogue compétitif était irrégulier, a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d’une part, d’annuler la délibération du conseil municipal en date du 13 septembre 2011 et, d’autre part, d’enjoindre à la commune de la Teste-de-Buch de prendre toute mesure utile pour mettre fin au contrat de partenariat, et, à défaut d’accord amiable, de saisir le juge du contrat afin qu’il constate la nullité de la convention.
Le tribunal administratif de Bordeaux, par jugement en date du 18 mars 2015 a annulé les décisions attaquées et enjoint au maire de la commune de la Teste-de-Buch de résilier le contrat de partenariat conclu avec la société X à compter du 1er octobre 2015.
La cour administrative de Bordeaux a rejeté l’appel de la commune à l’encontre de ce jugement par un arrêt en date du 31 mai 2015 (1).
Le Conseil d’Etat, sur le pourvoi de la commune, a considéré que c’est à bon droit que la cour administrative de Bordeaux a jugé que le recours à la procédure de dialogue compétitif était irrégulier et que la délibération en date 13 septembre 2011 devait être annulée (I). En revanche, la Haute juridiction a considéré que c’est à tort que les juges du fond ont fait droit aux conclusions aux fins de résiliation (II).
I - Les conditions du recours à la procédure de dialogue compétitif dans le cadre d’un contrat de partenariat
A — Les critères de recours au contrat de partenariat et à la procédure de dialogue compétitif
A titre de précision, la présente affaire est soumise à l’ancien régime du contrat partenariat prévu par les articles L. 1414-1 (N° Lexbase : L9479IC3) et suivants du Code général des collectivités territoriales dans leur version en vigueur en 2011, lesquels prévoyaient qu’un contrat partenariat ne pouvait être conclu que si l’évaluation préalable faisait ressortir soit une complexité, soit une urgence, soit un bilan avantages-inconvénients favorables (2).
Par ailleurs, dans le cadre de la conclusion d’un contrat de partenariat, la personne publique ne pouvait recourir au dialogue compétitif que dans la mesure où, compte tenu de la complexité du projet, elle était ”objectivement dans l’impossibilité de défnir seule et à l’avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins ou d’établir le montage fnancier ou juridique du projet” (3), et ce, quel que soit le critère motivant le recours au contrat de partenariat.
Dans cette affaire, le recours au contrat de partenariat sur le fondement de la complexité n’était pas remis en cause, le requérant a attaqué le recours à la procédure de dialogue compétitif. Pourtant, les critères sont sensiblement les mêmes.
Il en résulte que la seule complexité du projet est insuffisante pour mettre en œuvre la procédure de dialogue compétitif et que la personne publique doit justifier de son impossibilité de définir seule et à l’avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins ou d’établir le montage financier ou juridique du projet.
B — La nécessité d’une véritable impossibilité pour la collectivité de définir seule et à l’avance les moyens techniques pouvant répondre aux besoins ou d’établir le montage financier ou juridique du projet
En l’espèce, la commune a tenté de justifier le recours à la procédure de dialogue compétitif par la complexité du projet, ce que les juges du fond, approuvés par le Conseil d’Etat, ont écarté.
La notion de complexité, laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond, découle de la réalité de ce que le projet implique une impossibilité pour la collectivité de définir seule et à l’avance les moyens techniques pouvant répondre aux besoins ou d’établir le montage financier ou juridique du projet.
En effet, et ainsi que le rappelle le Rapporteur public Gilles Pellissier dans l’arrêt commenté, ”la complexité qui justife le recours au dialogue compétitif ne réside pas dans les difcultés techniques que peut présenter la réalisation d’une opération [...], mais de l’impossibilité pour l’acheteur public de défnir seul et à l’avance les moyens de les résoudre” (4).
La jurisprudence ne se contente donc pas d’une complexité technique du projet mais exige une démonstration par la personne publique de l’impossibilité de définir seule et à l’avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins (5).
C’est dans ce contexte que, si la commune de La Teste-de-Buch a fait valoir qu’elle était dans l’impossibilité de définir seule et à l’avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins, le Conseil d’Etat rappelle que la cour administrative d’appel a relevé, à juste titre, que ”la construction de l’hôtel de ville, en dépit des objectifs fxés en matière de consommation énergétique et d’impact environnemental, ne présentait pas de complexité technique particulière ni de caractère novateur ; que si le projet était moins précis en ce qui concerne la valorisation de deux espaces proches de la mairie, la commune, qui avait fxé les orientations principales de l’aménagement envisagé, notamment pour la voirie publique, n’était pas dans l’impossibilité de défnir, seule et à l’avance, les moyens techniques propres à satisfaire ses besoins [...]”.
Le Conseil d’Etat valide donc l’appréciation des juges du fond selon laquelle le projet de la commune de La Testede-Buch ne présentait pas de complexité susceptible d’autoriser le recours à la procédure de dialogue compétitif.
Il laisse donc souverainement l’appréciation de la complexité, laquelle doit découler de l’impossibilité de définir seul et à l’avance les moyens techniques propres à satisfaire les besoins, aux juges du fond.
Toutefois, la nouvelle règlementation des marchés publics (6) dresse une liste d’opérations pour lesquelles le marché de partenariat pourra être conclu sans faire référence à des cas d’ouverture. De même, le recours à la procédure de dialogue compétitif est désormais identique pour tous les types de marchés, en ce compris les marchés de partenariat (7) .
II - Les effets de l’annulation d’un acte détachable sur le contrat
Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat, dans la droite ligne de sa jurisprudence antérieure, a rappelé que l’annulation d’un acte détachable d’un contrat n’implique pas nécessairement l’annulation ou la résiliation de ce contrat.
En effet, la Haute Juridiction a, à plusieurs reprises, rappelé que, lorsque le juge prononce l’annulation d’un acte détachable du contrat, il lui appartient de rechercher, si la résiliation subséquente du contrat est ou non de nature à porter atteinte à l’intérêt général ou à l’intérêt des parties (8). Il doit prendre en considération la gravité du vice ayant conduit à l’annulation de l’acte détachable (9).
Ainsi, les conséquences de l’annulation d’un acte détachable du contrat sur le contrat lui-même dépendent de la gravité de l’irrégularité commise (A) et de l’existence d’une atteinte l’intérêt général (B), lesquelles sont soumises au contrôle du Conseil d’Etat, non sur le fondement de l’erreur de droit, mais sur celui de la qualification juridique des faits.
A — La gravité de l’irrégularité commise
Force est de constater que la jurisprudence semble accorder une certaine importance au non-respect des conditions du recours au contrat de partenariat et à la procédure de dialogue compétitif, dès lors qu’il s’agit de règles dérogatoires (10).
C’est d’ailleurs en ce sens que la cour administrative d’appel de Bordeaux a statué dans son arrêt censuré en date du 31 mai 2016 en retenant qu’”eu égard à sa gravité et en l’absence de régularisation possible, il devait être ordonné au maire de la commune de résilier le contrat à compter du 1er octobre 2015”.
Cependant, le Rapporteur public a toutefois, estimé que ”l’illégalité n’est pas régularisable. Elle n’est d’autre part pas au nombre des irrégularités d’une particulière gravité entraînant la résolution du contrat”. En effet, le requérant n’a pas démontré que le choix de la procédure aurait eu des conséquences défavorables pour la commune. Pour le Rapporteur public comme pour le Conseil d’Etat, les conséquences de cette irrégularité apparaissent donc moindres, d’autant plus que la procédure contentieuse a été initiée par un conseiller municipal et non un concurrent évincé.
Pour le Conseil d’Etat, la gravité d’une telle irrégularité peut dépendre des conséquences que cela implique pour la commune.
En effet, celui-ci a essentiellement fondé sa décision sur l’atteinte à l’intérêt généra qu’impliquerait une annulation ou la résiliation du contrat.
B — La prééminence de l’intérêt général sur la gravité de l’irrégularité
La commune a fait valoir qu’en cas de résiliation du contrat, elle devrait verser à son contractant la somme de 29 millions d’euros en soulignant que le paiement de cette somme affecterait très sensiblement sa situation financière.
Le Conseil d’Etat, sensible à cette argumentation, a considéré que la résiliation du contrat était contraire à l’intérêt général.
Ainsi, il est désormais acquis en ce qui concerne les contrats de partenariat, que l’annulation des actes détachables n’implique pas nécessairement l’annulation ou la résiliation dudit contrat.
Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat fait donc prévaloir l’intérêt général sur l’irrégularité commise, indépendamment de sa gravité.
Toutefois, en l’espèce, l’intérêt général coïncide avec l’intérêt financier de la commune.
Rappelons que, dans le cadre d’un contrat de partenariat soumis à l’ancien régime, le Conseil d’Etat a récemment pris une décision refusant la résiliation du contrat alors que l’acte détachable était annulé dans le cadre d’une affaire où les conseillers n’étaient pas suffisamment informés du projet (11).
Contrairement à la décision du Conseil d’Etat précitée, dans laquelle l’intérêt général pouvait être rattaché à l’organisation du championnat d’Europe de football de 2016, en l’espèce, aucun autre motif que celui de l’intérêt financier de la commune ne justifie le maintien du contrat
Dès lors, avec cette décision, l’intérêt financier de la commune risque d’être souvent mis en avant pour justifier le maintien d’un contrat conclu irrégulièrement.
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Il résulte de cet arrêt que le pouvoir d’appréciation du juge du fond sur le prononcé de la résiliation du contrat en raison d’une irrégularité affectant un acte détachable du contrat se trouve fortement altéré. En effet, et dès lors que l’intérêt financier d’une personne publique se trouve fortement menacé, les juges vont devoir faire preuve de prudence sur les conséquences de l’annulation d’un acte détachable.
Or, dans le cadre de tels projets, et au regard de l’ampleur des investissements mis en œuvre pour leur réalisation, une annulation du contrat, quelques années après son commencement exécution, à une date à laquelle le bâtiment est construit, nécessairement des conséquences financières non négligeables pour la personne publique.
Ainsi, en cas de contestation de la régularité d’un acte détachable, il faudra désormais s’interroger sur l’opportunité de demander la suspension de l’exécution du contrat afin de permettre au juge du contrat de se prononcer sur les conséquences de l’annulation d’un acte détachable indépendamment de l’intérêt général financier